Entretien avec Louis El Rahi, délégué diocésain d’Ajaccio

« La laïcité ne nous donne pas le droit d’être au-dessus des lois mais elle n’interdit pas la liberté d’expression même médiatique »

Alors que Radio France a refusé, en ce temps d’Avent, de diffuser une publicité faisant mention des « chrétiens d’Orient », nous avons contacté le délégué diocésain d’Ajaccio pour une entrevue autour de cette question et celle de l’engagement des chrétiens.

Avant toute autre question, pouvez-vous nous rappeler qui sont les chrétiens d’Orient et que vivent-ils actuellement ?

Tout d’abord il faut se rappeler que le christianisme est né en Orient. Aujourd’hui quand on parle des chrétiens d’Orient on a l’impression que c’est exotique alors que l’Orient est le berceau du christianisme. On a l’impression que l’Occident est le protecteur du christianisme, mais les premiers siècles sont ceux d’un christianisme oriental et les Pères de l’Eglise en sont l’exemple parfait.

Les chrétiens d’Orient sont depuis longtemps victimes de persécution. L’Arménie par exemple, subit depuis plus d’un siècle des persécutions : le génocide mené par le Turquie, les vagues migratoires, la réduction de son territoire et cette guerre qui n’est pas terminée (celle entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le Haut-Karabagh, NDLR).

Ceux qui prennent les armes en Arménie sont les chrétiens et les Eglises arméniennes appellent au combat pour protéger un Etat chrétien dans une guerre défensive. Je ne sais pas si on peut légitimer la violence sur le plan moral mais en tout cas ce peuple se bat pour sa survie sans beaucoup de soutiens extérieurs.

Suite aux déclarations de Radio France, pensez-vous que le terme de chrétien, et donc celui de chrétien d’Orient peut choquer ?

Pourquoi cela choquerait ? Est-ce le fait de faire une pub pour une communauté ? Mais cela se fait pour d’autres, il existe déjà des publicités qui ne s’adressent qu’à une catégorie de la population. Est-ce que communiquer sur une action humanitaire vis-à-vis d’une population persécutée à cause de sa religion est du prosélytisme ? Je ne pense pas. Ce qui est mis en avant n’est pas le Kérygme mais le fait d’aider, de donner à manger et à boire, d’éduquer…

L’Œuvre d’Orient reçoit des aides des chrétiens de France mais également des personnes qui ne sont pas forcément chrétienne mais qui sont sensibles à la situation des chrétiens d’Orient. C’est un organisme reconnu d’utilité publique par l’Etat Français. Que veut dire Radio France en refusant le terme de chrétien ? Qu’ils ne doivent pas être aidé car ils sont chrétiens ? L’argument invoqué par le service public est en contradiction avec la loi de 1905 et avec l’esprit de la laïcité.

Pourquoi, dans la France qui fut la fille ainée de l’Eglise, parler de chrétienté est perçue comme choquant ?

C’est intéressant de se demander si la France a été effectivement la Fille ainée de l’Eglise quand elle le revendiquait. Quand on regarde les Rois de France qui se disaient chrétiens, ont-ils agit en chrétien ? Je ne le pense pas toujours, mais lorsque la France a défendu la paix en Irak, elle a agi comme la fille ainée de l’Eglise alors qu’elle ne revendiquait pas ce titre. Il ne suffit pas se dire fille ainée de l’Eglise pour l’être, il faut pratiquer les vertus. C’est d’abord accueillir le Christ et le laisser nous convertir. Ceux qui se disent chrétiens doivent se rappeler l’Epitre de Saint Jacques : « Ainsi en est-il de la foi : si elle n’a pas les œuvres, elle est tout à fait morte », « moi c’est par les œuvres que je te montrerai ma foi » (Jc. 2, 17-18).

Quand on se déclare du Christ on ne peut vivre sans mettre en pratique les commandements du Christ. C’est la foi qui est première par rapport aux œuvres, mais on juge un arbre à ses fruits. On juge la foi aux œuvres qu’elle produit, on juge un chrétien à ses œuvres. Il y a des groupes qui se disent chrétiens mais leurs œuvres ne montrent pas cela, notamment dans la pratique de la Miséricorde.

Vous avez organisé, en Corse, une collecte pour le Liban, votre terre natale, pouvez-vous nous en parler et nous dire quel est la situation aujourd’hui ?

J’y suis allé il y a trois semaines pour achever cette œuvre humanitaire née de la volonté des Corses. Alors que je pensais obtenir quelques caisses…on s’est retrouvé avec 5 tonnes de produits. La CDC (Collectivité de Corse, c’est-à-dire le pouvoir exécutif de l’île, NDLR) y a ajouté 30000 masques FFP2 et tous nous ont aidé. C’est rassurant, je me dis que la Corse est encore chrétienne par cette solidarité pour ceux qui souffrent. Les Corses sont encore chrétiens.

Au-delà de cela, la situation du Liban est catastrophique, le port est encore dévasté et des gens habitent encore dans des maisons dévastés, sans portes ni fenêtres. J’ai vu là-bas la solidarité des jeunes libanais envers leurs anciens, ils ont vraiment été à la hauteur. Les salaires stagnent mais la livre libanaise a très fortement baissé ; un père de famille qui gagne un mois du salaire moyen peut nourrir sa famille pendant seulement une semaine. Pour moi, mon séjour a été un choc ; entre savoir ce qu’il se passe et voir la situation il y a un monde. En remontant dans l’avion et en repensant à ce que j’avais vu je n’ai eu qu’une seule réaction : j’ai pleuré.

Pensez-vous que le gouvernement a été assez investi dans le dialogue pour la réorganisation du culte publique ?

Non, évidemment que non, ils se sont entêtés dans une position ridicule en pensant que ce qui ne les intéressait pas n’intéresse personne. Leur propre référence était eux-mêmes et ce qu’ils pensent, eux, de la messe. Manque de chance pour eux, c’était anticonstitutionnel, la loi de 1905 garantit la liberté de culte. A partir du moment où la liberté de culte est mise au même rang que les commerces, il y a anticonstitutionnalité. Et puis si les magasins de bricolage sont reconnus comme essentiels pourquoi l’Eglise ne l’aurait pas été ? La liberté de culte est aussi essentielle que celle de la presse. Les églises ne sont pas des commerces, les associations qui les régissent sont régie par la loi de 1905 et sont à but non lucratif.

Pour ma part, je n’aurais pas manifesté, l’Eglise ne s’oppose pas à l’Etat et l’on doit travailler avec l’Etat. Au moment où on manifeste on entre dans un rapport de force. Je suis pour le dialogue institutionnel et je fais confiance à la Conférence des Evêques de France. Pour le premier confinement, je suis indulgent ; c’était inédit. Cependant, pour cette deuxième vague, ils se sont entêtés à maintenir la jauge de 30 personnes ; c’était devenu idéologique en considérant les églises comme des foyers de contaminations alors que nous étions bien organisé et cela bien avant le premier confinement. Nous avions fait beaucoup d’effort pour éviter toute contamination jusqu’à demander que tous communient à la main. De même, nous avons bien exécutés les protocoles prévus pour la disposition des fidèles. L’Eglise a exercé la vertu de Prudence très tôt et a voulu protéger les plus faibles.

Aux vues du peu de considération du gouvernement pour les cultes, comme ce fut le cas pour les célébrations publiques, pensez-vous que les chrétiens doivent se faire discrets dans le champ médiatique ?

Les chrétiens sont des citoyens comme les autres avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. La laïcité ne nous donne pas le droit d’être au dessus des lois mais elle n’interdit pas la liberté d’expression même médiatique. Chacun a le droit de s’exprimer, d’exprimer ce qu’il pense et ce qu’il vit y compris quand cela lui semble être une injustice.

En quoi les prêtres auraient-ils pu nous aider à traverser cette épreuve ?

Nous accompagnons les familles en deuil en étant les rares personnes que celles-ci rencontraient. On a aussi continué la mission de fraternité de l’Eglise. Les prêtres ont aussi continué à prier, en privé et en public par la messe, pour que Dieu nous soutienne dans l’épreuve. La communion c’est aussi de faire Eglise autrement, de s’unir malgré tout. J’ai travaillé sur la question des médias numériques et de l’Eglise mais il est vrai que prêcher et officier devant une caméra ce n’est pas naturel. Alors que la liturgie est à la fois l’action du peuple qui offre un sacrifice à Dieu et l’action de Dieu qui sanctifie le peuple, dans cette configuration il y avait un intermédiaire : la caméra. Une réflexion qui évalue notre pratique et qui envisage son avenir devra être menée avec un peu de recul.

Aujourd’hui, quel est la situation de nos coreligionnaires en Orient ?

La question est large et la réponse dépend de la situation de chaque pays. L’un des seuls pays de la région où l’on peut être libre en chrétien, c’est le Liban. Ailleurs il est difficile de se réclamer chrétien et de vivre librement sa foi. Pour le reste, c’est risqué d’être chrétien bien que l’Irak soit en train de revoir ses positions sur le christianisme car ils ont besoin des chrétiens, qui sont ingénieurs notamment, pour reconstruire (le souverain pontife visitera l’Irak en mars prochain, a annoncé le Vatican. NDLR).

En cette période de l’Avent, quel serait votre message pour nos lecteurs chrétiens ou non ?

Le temps de l’Avent est celui de l’Espérance, d’une attente active pour recevoir le Prince de la Paix, celui qui apporte la Bonne nouvelle à son peuple. En ce temps particulièrement difficile de deuxième vague de covid-19, il faut se rappeler cette Espérance, il faut la cultiver. L’Espérance vient de la foi et appelle la charité !

Comment aujourd’hui pouvons-nous vous aider dans votre œuvre ?

Pour aider l’œuvre d’Orient, il faut donner pour soutenir ses missions. Il est possible de soutenir concrètement tel ou tel mission, une école ou un hôpital... Si je dois donner un conseil, ce serait d’aider les œuvres éducatives ! Les écoles, pour le Liban que je connais bien, sont dans une situation grave de détresse et les enseignants ont acceptés d’être moins payés pour que l’éducation continue mais cela ne pourra pas durer. Les jeunes doivent être formés, ils sont les clefs de l’avenir.

Propos recueillis par Georges Taffoureau.

La rédaction d’Occidentis tient à rappeler l’importance du don en cette période de l’Avent et invite à se rendre sur le site de l’œuvre d’Orient : https://urgence-chretiens.oeuvre-orient.fr/?gclid=Cj0KCQiA5bz-BRD-ARIsABjT4niPJFxpA2sd6-qI5DQZkzMZkyI-kFgiYVMMnzs3oMjAP3qVbvPBV-4aAs1JEALw_wcB#presentation